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jeudi 22 novembre 2012

Le livre du chevalier de la Tour-Landry pour l'enseignement de ses filles.



Le Chevalier offrant le livre à ses filles
Gravure attribuée à Albrecht Dürer

Geoffroy de la Tour Landry est un noble du XIV ème siècle né vers les 1330 et mort entre 1402 et 1406.
En 1353, il épouse Jeanne de Rougé, fille de Bonabès IV (mort en 1377) sire de Rougé et de Derval. A la mort de Jeanne il épouse en 1391, Marguerite des Roches


Localisation la-tourlandry
Commune de la Tourlandry

Ses enfants sont issus de son premier mariage et au nombre de cinq, deux fils et trois filles .
Il participe sous la bannière des rois de France à plusieurs campagnes de la Guerre de Cent Ans. Il est avec Jean le Bon au siège d'Aiguillon en 1346. A la bataille d'Auray, en 1364, il est dans les rangs de Charles de Blois et en 1378 avec Bertrand du Guesclin il combat à Cherbourg.


Armes de la Tour Laudry
d'or à une fasce de gueules crénelée
de trois pièces et maçonnée de sable

Le livre a été composé entre 1371 et 1373 et a connu un grand succès dans la haute aristocratie. Il a été traduit en anglais et en allemand.

Livre pour l'enseignement de ses filles 
de Geoffroi de La Tour-Landry

Incipit

Cy commence le livre du chevalier de La Tour pour l'enseignement de ses filles.

L’an mil trois cens soixante et onze, en un jardin estoye sous l'ombre,
comme à l'issue d'avril, tout morne et tout pensiz : mais un pou me resjouy
du son et du chant que je ouy de ces oysillons sauvaiges qui chantoyent en
leurz langaiges, le merle, la mauvis(1) et la mesange, qui au printemps rendoient louanges, qui estoient gaiz et envoisicz.

 Ce doulz chant me fit envoisier et mon cuer sy esjoir que lors il me va souvenir du temps passé de ma jeunesce, comment amours en grant destresce m'avoient en ycelllui temps tenu en son service, où je fu mainte heure liez et autre dotant, si comme elle fait à maint amant. Mès tous mes maulx
me guerredonna(2) pour ce que belle et bonne me donna, qui de honneur et de tout bien
sçavoit et de bel maintien et de bonnes moeurs, et des bonnes estoit la meillour, se me
sembloit, et la fleur. En elle tout me delitoye(3 ); car en celui temps je faisoye chançons,
laiz et rondeaux, balades et virelayz, et chans nouveaux, le mieulx que je savoye. Mais la
mort qui tous guerroye, la prist, dont mainte douleur en ay receu, et mainte tristour.
 Si a plus de XX ans que j'en ay esté triste et doulent. Car le vray cuer(4) de loyal amour, jamais à nul temps ne à nul jour, bonne amour ne oubliera et tous diz lui en souviendra.

33-02-04/34 Duerer, Albrecht. The judgement of Sol...
Jugement de Salomon
Gravure attribuée à Albrecht Dürer

Et ainsi, comme en celui temps je pensoye, je regarday emmy(5) la voye, et vy mes filles venir, desquelles je avoye grant desir que à bien et à honneur tournassent sur toutes riens ; car elles estoyent jeunes et petites et de sens desgarnies.
Si les devoit l'en tout au commencement prendre à chastier courtoisement par bonnes exemples et par doctrines, si comme faisait la Royne Prines(6), qui fu royne de Hongrie, qui bel et doulcement sçavoit chastier ses filles et les endoctriner, comme contenu est en son livre. Et pour ce, quant je les vy vers moy venir, il me va lors souvenir du temps que jeune estoye et que avecques les compaignons chevauchoie en Poitou et en autres lieux.
 Et il me souvenoit des faix et des diz que ilz me recordoient(7 )que ilz trouvoient avecques les dames et damoyselles que ilz prioient d'amours ; car il n'estoit nulz jours que dame ou damoiselle peussent trouver que le plus ne voulsissent prier, et, sy l'une n'y voulsist entendre, l'autre priassent sans attendre.


1 MAUVIS : Petite Grive. (2)
2 GUERDONNER, GUERREDONNER : Récompenser, recevoir un don (de Dieu, de la nature). (2)
3 DELITER : Réjouir, charmer. (2)
4 CUER : Cœur (2)
5 EMMI : Au milieu de. (2)
6 Notes et variantes : « Ce qu’il faut entendre par cette Prines ou Prives de Hongrie et par son livre me paraît fort douteur. Le grand d’Aussy propose d’y voir « Elisabeth de Bosnie, femme de Louis 1er, surnommé le Grand, et mère de trois filles, dont Catherine, l’aînée, fut accordée en 1374 à Louis de France, comte de Valois » ; mais il n’a pas vue que son explication était inadmissible dès le point de départ, puisqu’il est certain que le livre de notre auteur n’est pas postérieur à 1372, date antérieure à cet accord. A prendre une reine contemporaine, il vaudrait mieux y voir Jeanne de Bohême, première femme du roi de France Jean II, dont il est question dans le commencement de Saintré, et qui mourut en 1349, avant l’avènement de son mari à la couronne. Mais il est plus juste de croire que, jusqu’à nouvel ordre, l’allusion de ce passage reste inexpliquée.
7 RECORDER : Rappeler à l’esprit, remettre à l’esprit. (2)

Le chevalier et ses filles dans le jardin
Gravure attribuée à Albrecht Dürer

Morceau choisi:

De celle qui menga l’enguille.

Un exemple vous vueil dire sur le fait des femmes qui manguent les bons morceaulx en l'absence de leurs seigneurs. Si fut une damoiselle qui avoit une pye
en caige, qui parloit de tout ce qu'elle véoit faire. Si avint que le seigneur de l'ostel faisoit garder une grosse anguille dedans un vaissel ou un vivier, et la gardoit
moult chierement pour la donner à aucuns de ses seigneurs ou de ses amis, si ilz le venissent veoir. Si avint que la dame dist à sa clavière que il seroit bon de menger la grosse
anguille, et au fait ilz la mengèrent et distrent que ilz diroient à leur seigneur que le
loerre (64)
l’avoit mangée. Et quant le seigneur fut venu, la pye lui commença à dire : « Mon
seigneur, ma darne a mangié l'anguille. » Lors le seigneur ala à son vivier et ne trouva
point de son anguille. Si vint à son hostel et demanda à sa femme que estoit devenue
l'anguille, et elle se cuida bien excuser, maiz il dit qu'il estoit tout certain et que la pie le
lui avoit dit. Sy ot ceans assez grand noise (65) et grant tourment. Maiz quand le seigneur
s'en fut alez, la dame et la claviére si vindrent à la pye et lui plumèrent toute la teste en
lui disant : « Vous nous avez descouvertez de l'anguille. » Et ainsi fut la povre pie toute
plumée. Maiz de là en avant, quant il venoit nulles gens qui feussent pelez ne qui eussent grant front, la pie leur disoit : « Vous en parlates de l'anguille. » Et pour ce a cy bon
exemple comment nulle femme ne doit mengier nul bon morsel par sa lescherie sans le
sceu de son seigneur, se elle ne l'employe avec gens d'onnour. Car celle damoiselle en fu
depuis mocquée et rigolée pour celle anguille, à cause de la pie qui s'en plaignoit.

64 : Loir
65  : Querelle. 

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