Enluminure du siège de Derval
Compillation des cronicques et des ystoires des Bretons
Cette enluminure est extraite d'un manuscrit "La Compilation des chroniques et des histoires de Bretagne" écrit par Pierre le Baud.
Pierre le Baud est né vers le milieu du XV ème siècle et devient secrétaire de Jean de Malestroit, dit de Derval, seigneur de Châteaugiron. Ce dernier lui commande donc ce qui deviendra la première grande Histoire de Bretagne.
Pierre le Baud remet son ouvrage
à Jean de Malestroit
Le siège du château de Derval a eu lieu en 1373. Il est occupé par Robert Knolles, capitaine anglais qui l'a obtenu en don par le duc Jean IV pour bons et loyaux services.
Blason de Robert Knolles
Le château appartenait à Bonabès IV de Rougé-Derval. Ennemi juré du Duc de Bretagne; celui-ci lui a confisqué toutes ses possessions bretonnes.
Blason de Bonabès IV
Le duc Jean IV s'étant réfugié en Angleterre, Charles V décide d'annexer la Bretagne et envoie son armée reconquérir les places fortes bretonnes.
Siège de Derval
Enluminure des Chroniques d'Angleterre
Jean de Wavrin
Sur l'enluminure du manuscrit de Pierre le Baud on voit l'armée française en bas (Du Guesclin à droite sur un cheval blanc) exécutant des otages, et les anglais en haut sur les remparts faisant en réponse la même chose. Après cet échange sanglant, le siège est levé et la place reste anglaise.
La question est :
le château représenté sur l'enluminure du manuscrit de Pierre le Baud est-il celui de Derval ou est-ce le château de Châteaugiron?
Le débat fait rage.
Une réponse dans le livre de Stéphanie Vincent, L'Enigme de l'Enluminure, Derval ou Châteaugiron? Editions Alan Sutton
Médecine clarifiée et propre à purger les personnes faibles et d'un tempérament délicat
Prenez une chopine d'eau de fontaine, une poignée de raisins mondés de leurs pépins, un bâton de bois de réglisse, de la racine de polypode; un demi-gros de sel de tartre soluble.
Polypode
Faites bouillir le tout jusqu'à ce que la masse soit fondue.
Otez-le du feu et laissez-le infuser pendant la nuit sur les cendres chaudes dans un vase de terre bien bouché, dans lequel vous aurez mis un gros de f.. d'antimoine et un peu de cannelle concassée enfermés dans un linge. Le lendemain, passez l'infusion à travers une étamine avec expression.
Symboles alchimiques de l'antimoine
Clarifiez avec un blanc d'oeuf et faites bouillir jusqu'à la réduction d'un grand verre. Pour la rendre plus purgative, on peut y ajouter deux gros de séné mondé et six gros de casse du levant récemment mondée, mais elle aura plus mauvais goût.
Sené
Trois heures après l'avoir avalé on doit prendre un bouillon au veau et aux herbes de la saison, et le reste de la journée, on vit sobrement.
Cette médecine purge les humeurs crasses et bilieuses.
Fable du Loup et de l'Agneau (XIIème siècle) Par Marie de France, traduit littéralement en prose.
Ésope dit ceci du loup et de l'agneau, qui buvait à un ruisseau :
Le loup à la source buvait, et l'agneau en aval était.
Avec colère parla le loup qui était très querelleur.
Par mauvaise humeur il lui parla : « Tu m'as, dit-il, fait grand ennui. »
L'agneau lui à répondu : « Sire, et en quoi ? »
« Donc, ne le vois-tu? Tu m'as ici troublé cette eau : je n'en puis boire mon soûl. Aussi, je m'en irai, je crois,
comme je vins, tout mourant de soif.»
L'agnelet donc répond : « Sire, déjà vous buvez en amont : de vous me vient tout ce que j'ai bu ».
« Quoi ! » fit le loup « m'outrages-tu ? »
L'agneau répond : « Je n'en ai intention ».
Le loup lui dit : « Je sais de vrai ; cela même me fit ton père, à cette source où j'étais avec lui, maintenant il y a six mois, comme je crois ».
« Qu'en retirez-vous, fit-il, sur moi ? Je n'étais pas né, comme je crois. »
« Et cela est parce que cela est », lui a dit le loup,
« Maintenant me fais-tu contrariété ? C’est chose que tu ne dois pas faire. »
Donc le loup prit le petit agneau, l'étrangle avec ses dents, et le tue.
Ainsi font les riches voleurs, les vicomtes et les juges, de ceux qu'ils ont en leur justice.
Faux prétextes par convoitise, ils trouvent assez pour les confondre, souvent ils font comparaître à leurs plaids, la chair ils leur enlèvent et la peau, comme le loup fit à l'agneau.
Le Roman de Fauvel est composé de deux livres:" La carrière et le mariage de l'âne Fourbe" et "Les noces de l'âne Fourbe avec la passion de la vaine gloire"
Fauvel est l'acronyme de Flatterie, Avarice, Villainie, Variété, Envie et Lascheté.
Le Roman de Fauvel et est poème satirique de plus de 3000 vers composé au début du XIV ème siècle, qui dénonce la corruption et les abus de pouvoir des puissants aussi bien laïcs que religieux.
Philippe le Bel est içi caricaturé en âne
Il a été écrit par Gervais du Bus, clerc au service d'Enguerrand de Marigny (ministre de Philippe le Bel), puis notaire de la chancellerie royale jusqu'en 1338.
Manuscrit BNF
Philippe de Vitry (1291-1361) en fait une fresque musicale
Le 3 avril 1369, le roi Charles V promulgue une ordonnance singulière, qui prétend interdire aux sujets de son royaume la pratique de tous les jeux. Les jeux de dés, de tables, le jeu de paume, les quilles, les palets, la soule et les billes sont explicitement désignés. De fait, tous les jeux "qui n’ont point d’utilité pour exercer nos dits sujets au maniement des armes" sont visés, les contrevenants s’exposant à l’importante amende de quarante sous ; pour se divertir, les sujets doivent s’adonner exclusivement au tir à l’arc ou à l’arbalète. Une telle mesure n’est pas tout à fait originale dans la mesure où Charles V ne fait qu’imiter le roi d’Angleterre Édouard III. Pour le roi de France, qui tente de réorganiser le royaume, il s’agit clairement d’améliorer les qualités militaires du peuple français. Le souvenir des cuisantes défaites de Crécy (1346) et de Poitiers (1356) est encore très vif : lors de ces deux batailles, la force de l’archerie avait largement déterminé la victoire anglaise. Même si des traces de l’application effective de cette ordonnance peuvent être repérées, le renouvellement obsessionnel de ces interdits par les autorités suffit à dire leur peu d’efficacité pratique. En revanche, c’est avec une crainte certaine qu’un chroniqueur note, vingt-cinq ans plus tard, le développement du tir à l’arc et à l’arbalète au sein du peuple, évolution non sans danger pour les puissants ! L’ordonnance révèle en tout cas la véritable "invasion ludique" qui caractérise l’Europe d’alors. (…) Le Moyen Âge a beaucoup joué. Pareille remarque paraîtra sans intérêt à tous ceux qui voient dans le jeu une composante invariable de la nature humaine. En réalité elle est fondamentale et bouleverse quelque peu l’image de la société médiévale. Poser la question du jeu, c’est en effet poser la question du temps réel dont disposent le prince et le chevalier, le diacre et l’archevêque, mais aussi le paysan et le travailleur urbain, pour s’adonner au jeu. En un mot, existait-il un temps libre ? Par-delà se profile la question du temps de travail et, par conséquent, la question des pouvoirs. Jean Michel Mehl
Le troisième siège de la ville de Rennes de la Guerre de Cent Ans commence le 3 octobre 1356 et se termine le 5 juillet 1357. Neuf longs mois.
Il est mené par l'armée anglaise commandée par Henry de Grosmont duc de Lancastre, en forte supériorité numérique.
Henry de Grosmont duc de Lancastre
Dans les murs de la ville, une petite garnison tient tête. Elle est commandée par les capitaines Penhouët et Bertrant de St Pern. L'enceinte murale de Rennes était peu étendue au XIVe siècle. Partant de la porte Mordelaise, elle suivait les Lices, traversait la rue Rallier et le massif de maisons situées entre cette rue et le Champs-Jacquet, passait à l'angle actuel des rues La Fayette et Châteaurenault et descendait en ligne droite à la Vilaine, puis elle longeait la rivière jusqu'à la place de la Mission et remontait à la porte Mordelaise en passant derrière les maisons de la rue Nantaise
Porte Mordelaise
Mais les restrictions sont grandes et la faim commence à se faire sentir, d'autant plus que les Anglais pour attirer la garnison hors de la ville firent amener devant les remparts un troupeau de 4000 porcs.
D. Emplacement approximatif du Pré Raoul aujourd'hui rue Nantaise
Penhouët craignant une embuscade, ouvre une poterne, celle de la porte Mordellaise sans doute, y suspend une truie par les pieds de derrière qui se met à pousser des cris affreux. A ces cris tous les pourceaux accourent, Penhouet baisse le pont levis et le troupeau entre dans la ville à la poursuite de la truie.
Les Anglais arrivent mais trop tard et les Rennais sur les remparts ne manquent pas de les railler : "Vos pourceaux ne sont pas perdus, mais vous nous devez des gages, nous sommes vos porchers"
Philippe de Rémi, sire de Beaumanoir est un poète né vers 1210 et mort en 1265 et originaire du village de Remi en Picardie .Il ne faut pas le confondre avec son fils qui a écrit "Les Coutumes de Clermont en Beauvaisis"
Fatrasies
I
Le chant d'une rainette
saigne une baleine
au fond de la mer,
et une sirène
emportait la Seine
au dessus de Saint-Omer.
Un muet y vint chanter
sans mot dire à haute voix:
s'il n'y eût Warnaviler,
ils fussent noyés dans la veine
d'une tête de sanglier.
II
Le pied d'un ciron
frappa un lion
si bien qu'il le blessa.
La moelle d'un jonc
a pris un limon
qui s'en courrouça;
il le proclama mauvais larron.
Voici le bec d'un verdier
qui les démêla si bien
que la plume d'un oison
emporta tout Paris
III
Je vis toute la mer
s'assembler sur terre
pour faire un tournoi,
et des pois à piler
firent sur un chat
monter notre roi.
Alors vint je ne sais quoi
qui prit Calais et Saint-Omer
et les mit à la broche;
ainsi les a-t-il fait reculer
sur le Mont-Saint-Eloi.
IV
Un grand hareng saur
avait assiégé Gisors
d'un côté et de l'autre,
et deux hommes morts
vinrent de toutes leurs forces,
portant une porte;
sans une vieille tordue
qui alla criant "Dehors!",
le cri d'une caille morte
les eût rapidement pris
sous un chapeau de feutre.
V
Le gras d'un poulet
mangea au brouet
Pont et Verberie.
Le bec d'un coquelet
emportait sans plaidoyer
toute la Normandie.
Et une pomme pourrie,
qui a frappé d'un maillet
Paris et Rome et la Syrie,
en fit ainsi une gibelotte:
nul n'en mange sans en rire.
VI
Un dé étourdi
portait Saint-Denis
en plein Montdidier,
et une perdrix
traînait Paris
sur Saint-Riquier.
Voici le pied d'un pluvier
sur le clocher de Senlis
qui si fort se mit à crier
qu'il a tout étourdi
les bourgeois de Montpellier.
VII
Une grande carpe
entraînait l'Oise
au dessus d'un haut mont,
et une vieille caque
au-dessus d'une toise
emporta Hautmont.
Une mesure de guenille
pèse quarante muids de blé
sur le château de Clermont,
si bien qu'une vieille prune de Jouarre
soûla tout le monde.
(Traduction Jean Dufournet)
(Anthologie de la poésie lyrique française des XIIe et XIIIe siècles, 1989)
L E L A I D E B I S C L A V R E T D E M A R I E D E F R A N C E
ÉDITÉ PAR JULIE BERLOT
En Bretagne vivait un baron dont j’ai entendu dire le plus grand bien. C’était un beau et valeureux chevalier et il se conduisait avec dignité. Il était prisé par son seigneur et aimé de ses voisins. Il avait une femme noble et de belle allure. Ils s’aimaient tous les deux.
Cependant la femme avait du soucis: elle perdait son époux trois jours entiers par semaine et ne savait pas ce qu’il devenait ni où il allait. Et nul des siens n’en savait rien non plus.
Une fois où il était rentré chez lui, joyeux et content, elle lui demanda : «Seigneur, mon doux et tendre ami, si j’osais, j’aimerais vous poser une question mais je ne crains rien autant que votre colère.»
À ces mots, il la serra dans ses bras, l’attira contre lui et l’embrassa.
«Dame, dit-il, posez votre question ! Jamais je ne vous cacherai quelque chose si vous me le demandez et que je connais la réponse.
– Sur ma foi, dit-elle, je suis soulagée ! Seigneur, les jours où vous me quittez, je suis très effrayée. J’ai si mal au cœur, et si peur de vous perdre que si je n’ai vite du réconfort, je risque d’en mourir sous peu. Dites-moi donc où vous allez, où vous êtes et où vous demeurez. J’ai peur que vous n’aimiez une autre femme, si c’est vrai, c’est très mal agir.
– Dame, dit-il, au nom de dieu, pitié ! Si je vous le dis , il m’arrivera malheur car vous cesserez de m’aimer et je serais perdu.»
Quand la dame entendit sa réponse, elle ne la prit pas à la légère. Plusieurs fois elle l’interrogea, elle le flatta et le cajola si bien qu’il lui raconta son aventure, sans rien lui cacher :
« Dame, je deviens un loup-garou. Je me rends dans cette grande forêt, au plus profond du bois, et j’y vis de proies et de rapines. »
Lorsqu’il lui a tout raconté, elle lui demande s’il quitte ses vêtements ou s’il les garde.
« Dame, dit-il, je reste tout nu.
– Dites-moi, au nom de dieu, où sont vos vêtements ?
– Dame, cela je ne vous le dirai pas, car si je les perdais et qu’ils étaient aperçus, je serais loup-garou pour toujours. Je n’aurais plus aucun secours jusqu’à ce qu’ils me soient rendus. C’est pour cela que je ne veux pas qu’on le sache.
– Seigneur, répondit la dame, je vous aime plus que tout au monde. Vous ne devez rien me cacher ni douter de moi sur rien ou alors c’est que vous ne m’aimez pas. Qu’ai-je fais de mal, pour quel péché doutez-vous de moi ? Dites-le moi, vous ferez bien.»
Elle le tourmenta et l’accabla tant qu’il ne put rien faire d’autre que le lui dire. « Dame, dit-il, près de ces bois, près du chemin par lequel je passe, se trouve une vieille chapelle, qui bien des fois, me rend service. Là, sous un buisson, il y a une grosse pierre creuse, toute évidée. Je mets mes vêtements sous le buisson jusqu’à ce que je regagne la maison.»
En entendant ce prodige, la dame devint rouge de peur. L’aventure la terrifiait. Elle chercha plusieurs fois le moyen de se séparer de lui. Elle ne voulait plus se coucher à côté de lui. Elle envoya un message à un chevalier du pays qui l’aimait depuis longtemps, qui l’avait beaucoup priée, suppliée et qui lui avait souvent proposé ses services ( alors qu’elle ne l’avait jamais aimé et refusait son amour). Elle lui ouvrit son cœur :
« Ami, dit-elle, réjouissez-vous ! Je vais mettre un terme à ce qui vous fait souffrir, vous n’aurez plus aucune résistance. Je vous offre mon amour et mon corps. Faites de moi votre amie. »
Le chevalier la remercie vivement, et ils se fiancent et elle prête serment. Puis elle lui raconte comment son mari s’en va et ce qu’il devient. Elle lui indique avec précision le chemin qu’il emprunte et pour l’envoyer chercher ses vêtements. C’est ainsi que Bisclavret fut trahi et par sa femme, condamné au malheur. Parce qu’il avait coutume de disparaître, tout le monde pensa qu’il n’ était pas parti pour de bon. Il fut pourtant recherché et demandé mais on ne put le retrouver. On renonça donc à le revoir. La dame épousa donc le chevalier qui l’aimait depuis si longtemps.
Il s’était écoulé un an entier quand le roi alla chasser. Il se rendit tout droit dans la forêt où Bisclavret se trouvait. Quand les chiens furent lâchés, ils rencontrèrent Bisclavret. Toute la journée, chiens et veneurs courent après lui et il s’en faut de peu qu’ils ne l’attrapent, le déchirent et ne le tuent. Dès qu’il aperçoit le roi, il court jusqu’à lui pour implorer sa grâce. Il saisit son étrier et lui baise la jambe et le pied. Le roi le voit et a très peur, il appelle tous ses compagnons.
«Seigneurs, dit-il, venez voir ce prodige, regardez comment cette bête se prosterne ! Elle a l’intelligence d’un homme, elle implore ma grâce. Chassez-moi tous ces chiens en arrière et prenez garde que personne ne le frappe. Cette bête est dotée de sens et de raison. Dépêchez-vous ! Allons-nous en ! J’accorde ma protection à cette bête. Je ne chasserai pas aujourd’hui.»
Le roi s’en est retourné, suivi de Bisclavret, il se tenait tout près de lui et n’en voulait partir, il n’avait pas envie de déguerpir. Le roi l’emmène dans son château. Il était très heureux, cela lui plaisait car il n’avait jamais rien vu de tel. Il tient beaucoup à la bête à cause du prodige auquel il a assisté. Il ordonne à tous les siens d’en prendre soin par amour pour lui, qu’ils ne lui fassent pas de mal, qu’il ne soit frappé par aucun d’entre eux et qu’il soit bien abreuvé et repus. Ceux-ci s’occupent de lui bien volontiers. Tous les jours il allait se coucher près du roi, entre les chevaliers. Tout le monde l’aimait car il était gentil et bien intentionné et qu’il ne voulait pas faire de mal. Ils allaient ensemble tout au long de la journée, il s’apercevait bien qu’il l’aimait.
Mais écoutez la suite de l’histoire.
Le roi tint une cour et invita tous les barons, qui avaient un fief de lui, pour donner à sa fête plus d’éclat. Le chevalier qui avait épousé la femme de Bisclavret s’y été rendu, richement équipé. Il ne pouvait deviner qu’il devait trouver Bisclavret si près de lui. Aussitôt qu’il arriva au palais, Bisclavret l’aperçu, il s’élança vers lui, l’attrapa avec ses crocs et le tira vers lui. Il lui aurait déjà fait bien du mal si le roi ne l’avait appelé et ne l’avait menacé d’une verge. Deux fois, ce jour-là, il tenta de le mordre. La plupart des gens étaient très étonnés car jamais il n’avait eu un tel comportement envers un homme. À cause de cela, tous les gens du château disent qu’il ne fait pas cela sans raison et que le chevalier a dû lui faire tort pour qu’il veuille à tout prix se venger. Cette fois les choses en restèrent là : la fête s’acheva et les barons prirent congé et regagné leur maison. Le chevalier attaqué par Bisclavret est parti parmi les premiers. Ce n’est pas étonnant qu’il le haïsse.
Peu de temps s’était écoulé, je pense, quand le roi, si sage et courtois, alla chasser avec Bisclavret dans la forêt où il avait été trouvé. La nuit, en repartant, il se logea dans le pays. La femme de Bisclavret fut au courant. Elle s’habilla richement. Et le lendemain, elle vint parler au roi, en lui faisant don de riches présents. Quand Bisclavret la vit arriver, personne ne put le retenir : il se précipite sur elle comme un enragé. Ecoutez comme il s’est bien vengé ! Il lui arracha le nez du visage. Qu’aurait-il pu faire de pire ? on le menace de tous côtés et on l’aurait déjà mis en pièce si un sage chevalier n’était intervenu : «Seigneur, écoutez-moi. Nous tous, nous l’avons vu et avons vécu à ses côtés depuis longtemps. Il n’a jamais touché personne ni montré de la cruauté à part envers cette femme. Par la foi que je vous dois, il a des raisons d’en vouloir à cette femme et à son mari. C’est la femme du chevalier que vous aimiez tant et qui a disparu depuis longtemps sans que l’on sache ce qu’il est devenu. Interrogez donc cette femme pour voir si elle n’a rien à avouer pour expliquer pourquoi cette bête la hait. Faites le lui dire si elle le sait. Nous avons déjà assisté à bien des prodiges en Bretagne!»
Le roi suivit son conseil. Il a retenu le chevalier d’un côté et de l’autre, il a saisi la dame et la soumise à la torture. À cause de la douleur et de la peur, elle a raconté toute l’histoire de son époux, de quelle façon elle l’avait trahi, volé ses vêtements, tout ce qu’il lui avait confié, où il allait et ce qu’il devenait. Depuis que ses vêtements lui avaient été dérobés, il n’avait pas reparu dans le pays. Elle était donc persuadée que la bête n’était autre que Bisclavret. Le roi lui demande les vêtements et lui ordonne de les apporter à Bisclavret qu’elle le veuille ou non. Le roi appela le sage chevalier qui l’avait déjà conseillé : «Seigneur, dit-il, vous avez tort. Il n’accepterait pour rien au monde de remettre ses vêtements devant vous et de quitter son apparence de bête. Vous ne comprenez pas qu’il est rempli de honte. Faites- le monter dans vos appartements, et les vêtements aussi et laissez-le un bon moment. S’il redevient homme, nous le verrons bien.»
Le roi en personne l’accompagna et ferma toutes les portes derrière lui. Un peu plus tard, il y est retourné, accompagné de deux barons. Ils entrèrent tous trois dans la chambre et trouvèrent le chevalier endormi sur le lit même du roi. Le roi court le prendre dans ses bras. Plus de cent fois, il l’étreint et l’embrasse. Dès qu’il en eut la possibilité, il lui rendit tout son domaine, il lui donna même plus que je ne saurais dire. Il a banni et chassé la femme du pays. Elle partit avec celui pour lequel elle avait trahi son mari. Elle en a eu beaucoup d’enfants ; on les reconnaissait facilement à leur air et à leur visage:car, bien des femmes de leur descendance naquirent et, c’est la vérité, vécurent sans nez.
L’aventure que vous venez d’entendre est vraie, n’en doutez pas. On en a fait le lai de Bisclavret pour que l’on s’en souvienne toujours.