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Incipit
C'était un valet de ferme, "d'une force et d'une vigueur étonnantes, corpulent et de haute taille, d'une hardiesse égale à sa vigueur". On l'appelait le Grand Ferré et cet Hercule de foire avait sauvé son village. Pourquoi consacrer un livre à celui qui n'est, après tout, que l'un de ces braves à trois poils si nombreux dans le roman national mais bien oubliés aujourd'hui? J'entends encore la maîtresse en raconter l'histoire dans une école villageoise du Val de Loire. Une classe à trois niveaux, comme il en existait tant dans les années 1960, les filles d'un côté, les garçons de l'autre, encadrant la mairie. Je n'ai pas oublié. Après avoir travaillé dix ans durant sur Jeanne d'Arc, connue, elle, par des centaines de documents et objet chaque année d'une ou plusieurs biographies nouvelles, j'avais envie d'autre chose : m'intéresser à celui qui est aujourd'hui un inconnu de l'Histoire.
Morceaux choisis
L'abbatiat d'Anséric de Saligny (1334-1360) dura un peu moins de trente années, mais ces années furent les pires du XIVème siècle. Anséric accéda à la charge quand commençaient en Beauvaisis les fièvres et les épidémies, et mourut à la fin de septembre 1360, quelques mois après la paix de Brétigny. C'est lui l'abbé de notre histoire et, quand il parvint au pouvoir, le Grand Ferré avait entre quinze et vingt ans. Notre héros mourut en 1359, un an avant l'abbé, dont il fut donc l'exact contemporain . C'est le seul abbé qu'il ait réellement connu.
Loin d'être un mauvais seigneur, Anséric semble avoir été un homme d'exception, digne du dévouement qu'il a suscité parmi ses paysans. Il ne verra pourtant pas le roi Jean II revenir de captivité et émettre de Compiègne en décembre 1360 l'ordonnance qui créa le franc ........
Dans un texte extrêmement célèbre en son temps, écrit en 1882, Ernest Renan explique à quel point le rôle de l'Histoire est fondamental , tant dans la création des nations que dans leur pérennisation à travers le temps : " Une nation est un plébiscite de tous les jours... Un passé héroïque, des grands hommes, de la gloire, voilà le capital social sur lequel on assied une idée nationale." Mieux vaut d'ailleurs un passé de souffrances partagées, "car la souffrance unit plus que la joie... Les deuils valent mieux que les triomphes, car ils imposent les devoirs et commandent l'effort commun".......
Excipit
L'histoire du Grand Ferré est explicable, je pense avoir réussi à le montrer . Mais si ce "récit exemplaire" a persisté à travers le temps, a inspiré les francs-tireurs de 1870 comme les résistants de la seconde guerre mondiale, et s'inscrit encore aujourd'hui sur les plaques des rues ou au fronton des monuments dans l'ancien temporel de Saint Corneille, c'est en vertu de sa dimension mythique qui illustre la force du" non" dans l'histoire.
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